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Le streaming est-il en train de tuer l’album?

Le streaming est-il en train de tuer l’album?

Hamza 140 BPM

Alors on va éviter les poncifs. Oui, le streaming a bouleversé l’industrie de la musique. Oui, la consommation de la musique a changé. Non, ce n’est pas la première révolution de l’industrie musicale. 

Oui, le streaming et les réseaux ont facilité l’Indépendance. Non, le streaming ne va pas mettre à genou les grandes maisons de disques. En revanche cette nouvelle façon d’écouter, et finalement de consommer de la musique, va bousculer les formats et les rythmes de publication des artistes.

Les formats se construisent sur les innovations

Les formats se succédent et ne se ressemblent pas.

Les évolutions techniques de l’histoire musicale et les modes d’écoute successifs ont marqué les formats utilisés par les artistes. Nous avons, par exemple, hérité les termes EP et LP qui qualifient, encore aujourd’hui, la richesse en titres d’un projet des limitations techniques du vinyle. Le single et le clip s’imposèrent grâce à la radio et aux chaînes TV musicales. 

Même les clés USB MP3, les CD-R, et les fameux “UNKNOWN – UNKNOWN – TRACK005” ont amenés les maisons de disques à repenser les supports physiques pour rappeler le public séduit par le piratage et le tout-digital.

Mais on a tout “disrupté”, non?

Quelle que soit l’importance que l’on prête aux bouleversements apportés par le streaming, il n’a pas (encore ?) réussi à casser complètement les codes des formats de publications. 

Les années MTV : sah quel plaisir

On retrouve encore l’héritage de formats passés dans le paysage musical. Les appellations LP et EP sont utilisées pour décrire des projets dématérialisés et les clips et les singles sont restés des indispensables. Ces automatismes, hérités de l’âge d’or de la radio et de MTV, se sont imposés comme une évidence et restent attractifs pour les artistes émergents. Le nombre de vidéos publiées par Daymolition témoigne de l’appétence des artistes émergents pour ce format traditionnel. 

Même les vinyles, pourtant donnés pour morts il y a une dizaine d’années, sont revenus ! Qu’ils soient d’occasions ou neufs, les amateurs de musiques se sont réapproprié ce format désuet. Les vinyles de PNL qui trônent dans mon bac à disques témoignent de l’importance de cette mouvance même chez les labels et artistes indépendants – oui, je flex, y’a quoi. 

Ainsi, la question que je me pose est la suivante : quel va-t-être l’héritage du streaming sur l’histoire des formats musicaux ? 

L’album garde la couronne

Le premier constat est que l’album reste le format roi. J’entends par là un projet qui contient une dizaine ou une vingtaine de titres cohérents. Si je me sens dans l’obligation de donner une définition, c’est que le streaming a eu tendance à flouter pas mal de frontières. Par exemple, entre la mixtape et l’album. Aujourd’hui la volonté de l’artiste est la dernière chose qui distingue concrètement ces deux formats qui représentaient pourtant des exercices et des enjeux commerciaux fondamentalement différents il y a quelques années seulement. 

Vendredi après Vendredi se succèdent ainsi une avalanche d’albums, dont une poignée de formats originaux : quelques EPs, des compilations… Une distinction entre ces projets peut être faite sur le plan du format, leur longueur. Cette question devient en effet de plus en plus importante : celle du nombre de pistes.

Question centrale: Combien il te fallait ?

Il semble aujourd’hui que deux tendances se démarquent. Certains albums tendent à se rapprocher de la dizaine de titres, quand d’autres gravitent autour de la vingtaine de pistes. 

Dans le cas du hip-hop français, il semble que la majorité des projets publiés en ce moment tend vers un format long. C’est d’autant plus vrai pour les artistes soutenus par des maison de disques – qui restent sur des recettes éprouvées. Il y a encore peu, j’avais tendance à leur donner raison : “Si j’achète un album, je veux qu’il y ait de la matière, je ne suis pas un pigeon” – mais si je stream un album est-ce que ma réflexion est la même ? 

Tu me suis ? Le streaming a changé notre façon de consommer de la musique et d’appréhender les projets. Combien d’entre nous écoutes encore les albums de bout à bout ?

Attention, ça va couper…

Pour les auditeurs actuels, l’album représente moins un projet artistique cohérent qu’une liste de titres à disséquer. Ce phénomène n’est pas nouveau. A l’époque de mes premiers CDs, je faisais déjà des compilations; mais face à la flemme de graver seulement l’essentiel sur un CD-RW, je laissais souvent tourner des albums complets. À l’inverse, les plateformes permettent de facilement décomposer les projets et les auditeurs ont tôt fait d’extraire la substantifique moëlle des projets pour en faire des playlists. 

Toi, qui dissèque des albums pour mettre à jour tes playlists tous les Vendredis.

Ce texte n’est en aucun cas à charge contre les playlists ! Elles sont le fruit d’algorithmes, de curateurs ou d’auditeurs et forment un nouvel ensemble qui a une valeur plus importante que la somme de ses parties. Mais elle s’oppose fondamentalement à l’album comme support d’écoute. Et cette compétition peut être vectrice de transformations. 

Par ailleurs, les plateformes ne respectent pas les albums : lecture aléatoire, ajouts de titres en fin de lecture, informations contextuelles… Notre attention en ligne est plus courte et notre flemme plus forte. Si on prend en compte l’offre de musique gargantuesque chaque Vendredi, et les possibilités infinies des plateformes, tout cela fragilise l’écoute continue d’un album. C’est pourquoi, à mon sens, plus un projet possède de titres, moins il sera streamé d’un bout à l’autre. 

Il y en a un peu plus, je vous le met quand même?

La cover du double album éponyme sorti en 2019

J’ai envie de parler d’un projet précis pour illustrer mon propos. Lacrim (2019).

Un double album de 40 titres soutenu par des gros featuring avec des titans des streams (6ix9ine et French Montana) et des monstres sacrés du rap (Snoop Dogg, Rick Ross, Oxmo – oui, il a sa place dans cette parenthèse, chut !). En dépit de la hype et du public fidèle de Lacrim, il faudra 4 mois au projet pour décrocher un disque d’or. Une certification pénible quand on sait que le public de Lacrim a porté certains de ses projets dans le cercle fermé des multiples platines. 

Vous savez que chez New Tone, on n’aime pas les chiffres, mais dans ce cas ils permettent de mettre en évidence un décrochage entre le format et le public. Le nombres d’écoutes des 40 titres du projet montre que seulement 5 titres se détachent du lot. Sans surprise, ce sont les titres qui ont été clipés, et qui sont rentrés en playlists. Le constat est flagrant : les auditeurs ont disséqué l’album. Ainsi, le double album semble être un format encore plus complexe à manier à l’ère du streaming. 

L’abondance de titres a été un argument de vente, mais ce n’est pas forcément un argument d’écoute. 

Vers des albums « Marie Kondo approved »?

Il y encore six mois, je préférais les albums bien remplis, genre un 18 titres des familles. Aujourd’hui, je pense que les albums plus mesurés, sont plus adaptés pour écouter un projet artistique cohérent. Sur cette durée, les artistes prennent moins le risque de perdre leur auditoire dans les limbes du streaming et peuvent développer leur vision sur l’intégralité des pistes. D’ailleurs, les albums conçus comme des oeuvres à part entière tendent vers un nombre réduits de titres comme Trinity de Laylow ou QALF de Damso qui compte 15 et 13 titres hors interludes. Ce dernier justifie d’ailleurs très bien sa démarche dans son récent passage sur Clique:

« Tu met plein de sons pour streamer ou pour qu’on kiffe au moin une chanson. Nan! Je suis fier de chaque chanson que je met dans mon album, donc j’ai pas besoin d’en mettre plusieurs. […] Pour moi, plus c’est court, plus ça s’écoute facilement. »

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A partir de 41:33, dans Clique X Damso disponible sur Youtube depuis le 03/10/20

Qu’est ce qui encourage encore certains artistes à publier des albums longs ? Je pense que cela tient à deux choses. Une grande partie des projets sortent encore en format physique, ce qui maintient le nombre de titres comme argument de vente. Les certifications de la SNEP poussent certains artistes à la conquête du volume d’écoutes, et dans ce cas : plus de titres, plus d’écoutes ? 

La nouvelle façon de consommer de la musique va rendre cette question du nombre de titres de plus en plus importante. Puisque les auditeurs ne sont plus tentés de faire de calculs prix/nombre de pistes, pourquoi ne pas s’affranchir de ce chiffre ? La génération d’artistes qui a percé en indépendant et maîtrise le streaming s’est épanouie dans des formats courts – surtout si le projet est seulement digital. On peut penser à Freeze Corleone, Loveni, Isha, Gianni, Di-Meh, Michel et plus encore. 

En influençant notre façon d’écouter de la musique, le streaming impact nécessairement les formats choisis par les artistes.

Impressions de déjà vu?

Sans hésiter une des rééditions les
plus classiques du rap français

Depuis quelques années, une nouvelle réponse à la question du nombre de titres s’est popularisée : la réédition.

Le Mouv’ a sorti un très bon article sur la question, dont voici les bases : après la sortie d’un album, pour des raisons artistiques ou commerciales, un artiste republie une version augmentée de son projet. Les démarches sont très hétéroclites et les nombres de titres bonus passe facilement de 2 à 10, mais le phénomène prend de l’ampleur depuis Futur 2.0, Or Noir Part II ou encore Feu avec autant de succès que d’échecs. 

Le streaming rend plus facile et plus pertinent cette démarche. Pas besoin pour les auditeurs de retourner acheter une copie de l’album en magasins pour découvrir les titres bonus, le seul effort requis : ouvrir une application. Dans ces conditions, il est facile pour les artistes d’ajouter des titres sur un album. En allant plus loin dans ce constat, on trouve enfin la révolution technique que nous apporte le streaming: la possibilité d’augmenter, de modifier ou d’éditer un album déjà en ligne. 

La théorie de l’évolution 

L’album évolutif de Youv Dee, sorti sur plusieurs semaines.

On peut retracer cette utilisation des plateformes à Life of Pablo de Kanye West par exemple, qui édita les pistes après la sortie. Plus récemment, en France, ce principe été appliqué dans des projets comme Stupéfiant de Niro ou Planète Mars de Youv Dee. Ces deux albums sont sortis en plusieurs fois. Cela permet de résoudre facilement le dilemme du nombre de titres. Sortir un album complet découpé en plusieurs morceaux digestes et adaptés aux codes du streaming. 

Nos confrères chez Interlude voient plus loin et évoquent, avec raison, les multiples portes ouvertes par ce principe. En dehors des avantages clairs en termes de communication, c’est un grand nombre de possibilités artistiques qui peuvent être développées. On peut ainsi imaginer des projets modulables qui évoluent en fonction du contexte (préférence du public, saison, heures…). Cela offre une nouvelle dimension dans la création, celle de la réactivité. Une nouvelle arme également dans la concurrence entre les albums et les playlists. 

Cette innovation est une nouvelle liberté apportée aux artistes. Si le streaming a conduit à une déstructuration de l’album, il lui a aussi donné les clés pour se réinventer. La multiplication récente de projets “bonbons”, comme le 140 BPM de Hamza ou encore la bien-nommée Confiserie d’Aketo, semble montrer une prise de libertés par rapport au code classiques du projet et de l’album. 

Une petite douceur avant de se quitter?

Le streaming a érigé de nouvelles contraintes. Le flot important de projets et d’artistes, surtout dans le hip hop, rend le simple fait d’exister plus compliqué. Il pousse artistes et maisons de disques à réinventer sans cesse leur communication, et leur rythme de publication. Une question tout aussi cruciale que celle du nombre de titres, que je traiterai – peut-être – dans une prochaine chronique.

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